FOCUS/Espagne: de Fagor à Miss España, faillites en série dans un pays en crise
AWP
Madrid (awp/afp) – Des autoroutes, un fabricant d’électroménager, un club de foot: en Espagne, aucun secteur n’échappe à l’épidémie de dépôts de bilan, qui continuent à grimper avec la crise et se terminent pour beaucoup en faillites.
Selon l’Institut national de la statistique, de 1147 dépôts de bilan en 2007, le pays est passé à 6197 en 2009 puis 9071 en 2012.
En 2013, “on devrait être autour des 10’000”, estime Carlos Sancho, avocat et professeur de direction financière à l’IESE Business School.
“2013 va être l’année avec le plus grand nombre de dépôts de bilan de l’histoire de l’Espagne”, renchérit Enrique Bujidos, responsable des restructurations au cabinet PricewaterhouseCoopers.
Plusieurs noms emblématiques, aux yeux des Espagnols, ont trébuché ces derniers mois: en février, le promoteur immobilier Reyal Urbis a été emporté par sa dette de 3,6 milliards d’euros, le deuxième plus gros dépôt de bilan de l’histoire du pays.
Pescanova, dont les poissons surgelés sont vendus dans tous les supermarchés et qui emploie plus de 10’000 personnes, s’est déclaré en cessation de paiements en avril.
Le 13 novembre, c’est l’empire Fagor, connu pour ses fours et machines à laver, qui a fait de même, menaçant plus de 2000 emplois en Espagne, pays déjà touché par un chômage de 26%.
A plus petite échelle, on trouve, dans le club des “concursos” (nom espagnol du dépôt de bilan), l’équipe de football du Deportivo La Corogne, diverses autoroutes privées ou encore l’organisateur du concours Miss España.
De manière globale, le secteur de la construction, le plus touché, représente environ un tiers des redressements judiciaires selon diverses estimations.
Au sein de la maison de courtage Axesor, on table sur “une croissance d’environ 20-25%” des dépôts de bilan en 2013 puis un léger ralentissement en 2014, explique Javier Ramos, son directeur du cabinet d’études.
Mais le phénomène est en fait encore plus large, car “en Espagne les taux de dépôts de bilan restent très bas”, souligne-t-il: entre janvier et septembre, ils n’ont représenté que 26% des fermetures d’entreprise.
CHIFFRE DÉCOURAGEANT
Dans un pays où le tissu industriel est surtout composé de petites entreprises, celles-ci “ont très peur du dépôt de bilan” et “en général, (le patron) ferme directement l’entreprise” plutôt que passer par cette procédure, témoigne Celia Ferrero, vice-présidente de la fédération des petits entrepreneurs ATA.
Un chiffre est décourageant: alors que le dépôt de bilan est censé aider à redresser les comptes de l’entreprise pour lui permettre de repartir, en Espagne, selon Axesor, 94% des dépôts de bilan aboutissent en liquidation.
“Nous avons tous un peu la sensation que si l’entreprise dépose le bilan, alors bien sûr elle ne va pas continuer à exister”, regrette Carlos Sancho, plaidant pour une réforme faisant du mécanisme “un parapluie fourni par la loi au chef d’entreprise pour l’aider à passer l’averse”.
Comment expliquer cette hausse des défaillances d’entreprises, alors que l’Espagne sort de la récession? “Nous sommes maintenant en train de voir les effets juridiques de la crise”, répond l’avocat, rappelant qu’au plus fort de la tourmente, beaucoup de sociétés avaient obtenu des banques des crédits pour tenir le coup.
Ces crédits “arrivent aujourd’hui à échéance” et, alors que la croissance et la consommation restent faibles, les entreprises se trouvent face à des banques plus réticentes à leur prêter de l’argent.
Le secteur bancaire espagnol, qui a reçu en 2012 une aide européenne de 41,3 milliards d’euros, est en effet étroitement surveillé par le Fonds monétaire international et la Commission européenne et du coup, “se sent moins incité à aider ses clients”, commente Enrique Bujidos.
“Je crois que si le crédit revenait, beaucoup d’entreprises qui sont aujourd’hui au bord de la fermeture pourraient tenir jusqu’à ce que l’économie aille un peu mieux”, suggère Celia Ferrero, qui s’inquiète aussi des factures en retard des administrations: celles-ci “paient en 144 jours, presque cinq mois!” alors que la loi dit 30 jours.
“Une petite entreprise sur quatre a dû fermer justement à cause de cela”, assure-t-elle, et au total, “près d’un demi-million de petites entreprises ont disparu pendant la crise”.
afp/rp